Alors que le Togo s’apprête à organiser ses premières élections sénatoriales le 2 février 2025, une anomalie institutionnelle d’envergure persiste : la région Centrale demeure sans gouverneur, malgré les récentes prises de fonctions officielles de ces représentants dans les autres régions du Togo. Dans un contexte où les conseillers municipaux et régionaux, grands électeurs à ce scrutin, ont un rôle stratégique à jouer, cette lacune soulève des interrogations sur la gestion de cette région historiquement sensible.

Un vide administratif préoccupant

Le gouverneur, en tant que représentant de l’État central, joue un rôle clé dans la coordination des politiques publiques, la gestion des crises locales, et l’organisation des processus électoraux. Sa mission consiste également à garantir l’équité dans la répartition des ressources et à renforcer les liens entre l’État et les collectivités locales. L’absence d’un gouverneur dans la région centrale crée un déséquilibre manifeste.

L’on s’interroge sur les raisons de ce retard: s’agit-il d’un manque de confiance envers certains collaborateurs ou d’une incompétence généralisée parmi les cadres pressentis ? Ou encore, la région Centrale ne remplirait-elle pas, selon certains, les critères nécessaires pour être pleinement reconnue comme une région ?

Cette situation interroge également sur le rôle du secrétaire général, récemment nommé dans la région.

Sans l’autorité et la légitimité institutionnelle conférées à un gouverneur, ce dernier se retrouve limité dans ses prérogatives, ce qui risque de freiner des initiatives cruciales pour le développement, notamment dans des secteurs stratégiques comme l’agriculture, les infrastructures ou encore les services publics.

Une région au passé douloureux

Cette situation prend une dimension encore plus complexe lorsqu’on examine l’histoire récente de la région Centrale. En 2017, lors des manifestations contre le pouvoir en place, la région a payé un lourd tribut pour son soutien massif au mouvement initié par Tikpi Atchadam. La répression qui s’en est suivie avec l’état de siège de la région a laissé des cicatrices profondes parmi les populations locales, marquées par un sentiment de marginalisation et d’injustice.

Aujourd’hui, l’absence d’un gouverneur dans cette région alors que  les autres régions célèbrent avec faste la prise de fonction de leurs gouverneurs, pourrait être interprétée comme une continuité de cette mise à l’écart. Ce vide institutionnel nourrit un sentiment latent de désintérêt de la part de l’État, ce qui pourrait être perçu, à tort ou à raison, comme une sanction implicite ou une négligence intentionnelle.

Des implications pour les sénatoriales

Avec les premières élections sénatoriales à l’horizon, l’absence d’un gouverneur dans la région Centrale prend une tournure encore plus critique. Les conseillers municipaux et régionaux, principaux grands électeurs de ces élections, nécessitent un cadre organisationnel stable pour mener à bien leur rôle.

Dans les autres régions, les gouverneurs joueront  un rôle central pour coordonner les actions entre les municipalités, assurer une bonne tenue des opérations électorales, et renforcer l’autorité de l’État dans le processus. En revanche, la région Centrale se trouve dans une situation de désavantage manifeste, ce qui pourrait affaiblir la crédibilité des résultats électoraux dans cette zone.

Un risque de récupération politique

Dans un pays où la perception joue un rôle crucial, l’absence prolongée d’un gouverneur dans une région comme le Centre est un terrain fertile pour la récupération politique. Des  opposants au régime pourraient exploiter cette situation pour accuser le pouvoir de discriminer une région historiquement frondeuse. Une telle lecture, même si elle ne reflète pas les intentions réelles du gouvernement, pourrait aggraver les fractures politiques et sociales dans un contexte déjà fragile. Mais c’est le silence total du côté de l’opposition togolaise.

Cette absence prolongée d’un gouverneur dans la région Centrale met également en lumière ce silence troublant de la part des cadres régionaux, des leaders communautaires, et surtout des figures de l’opposition. Ces dernières qui s’étaient levées avec vigueur pour dénoncer le découpage électoral, brandissant les principes d’équité et d’égalité entre citoyens, restent aujourd’hui étonnamment silencieuses face à cette injustice administrative. Le  silence des leaders locaux est aussi une curiosité, laissant croire à une terreur dans la région. Chacun se préfère et personne ne veut porter la croix, alors même que le Cadre permanent de concertation des acteurs politiques est dirigé par un natif de la région, Me Tchassonna Traoré, président du MCD. En tant que figure influente, son silence face à cette anomalie institutionnelle fragilise le message de défense des droits et des valeurs démocratiques qu’il incarne. Une prise de position forte est attendue pour montrer que les injustices ne peuvent être tolérées, quelle que soit leur nature.

Le chef de l’État face à une responsabilité stratégique

L’absence d’un gouverneur dans la région Centrale dépasse la simple négligence administrative : elle soulève des enjeux profonds liés à la cohésion nationale, à la justice sociale et à l’unité territoriale. Cette anomalie risque de ternir l’image d’un pouvoir qui se veut préoccuper par les  aspirations de toutes les régions, sans distinction.

Aussi, le silence du pouvoir sur les raisons profondes de ce retard, sans effort visible pour éclairer l’opinion publique, peut être perçu comme un manque de considération à l’égard des populations concernées, qui, pourtant, ont le droit légitime d’être informées sur des questions aussi cruciales touchant à leur gouvernance.

La nomination d’un gouverneur compétent et impartial dans les plus brefs délais serait un geste fort, non seulement pour combler ce vide institutionnel, mais aussi pour envoyer un message clair : aucune région du Togo n’est laissée pour compte. Ce serait également une opportunité pour l’État de réaffirmer son engagement à respecter les principes d’équité et d’inclusivité, essentiels pour consolider la stabilité et la paix sociale.

Ce n’est pas seulement l’avenir de la région Centrale, mais aussi la crédibilité de la décentralisation comme pilier du renouveau démocratique au Togo. Laisser perdurer ce vide reviendrait à fragiliser un processus qui se veut une réponse aux aspirations des Togolais pour une gouvernance plus proche, plus juste et plus efficace.

Ricardo A.