Dans un entretien récent avec Le Monde, l’économiste et ancien ministre togolais Kako Nubukpo analyse les bouleversements politiques qui secouent l’Afrique aujourd’hui, en mettant en lumière l’un des facteurs déterminants de cette crise : la montée en puissance d’une jeunesse en quête de perspectives. Selon lui, cette dynamique est essentielle pour comprendre l’effondrement des régimes dits “forts” sur le continent.

L’Afrique est aujourd’hui confrontée à une déflagration démographique et sociale, où l’écart entre une jeunesse de plus en plus nombreuse et des gouvernements incapables de répondre à ses attentes devient de plus en plus criant. Nubukpo évoque ainsi l’échec des élites urbaines, y compris les siennes, à créer des opportunités économiques : « Soixante ans après les indépendances, ces événements sanctionnent l’échec des élites urbaines, dont je fais partie, à créer de la prospérité. »

Un autre aspect de cette crise est le rôle des jeunes dans l’ascension des juntes militaires. Ces jeunes militaires, souvent issus de cette même génération en manque de perspectives, deviennent pour leurs pairs un “moyen de revanche” contre des régimes civils déconnectés des réalités du terrain. L’adhésion des jeunes aux coups d’État récents en Afrique de l’Ouest reflète une colère profonde, un sentiment de trahison : « Ces jeunes militaires, avec le pouvoir des armes, offrent à ces jeunes une forme de revanche par procuration sur des régimes qui ne se sont pas préoccupés de leur avenir. »

Avec la prévision d’un doublement de la population africaine d’ici 2050, Nubukpo estime que cette réalité va accélérer la chute des régimes en place. Ces derniers, souvent perçus comme “forts”, sont en réalité fragilisés par la jeunesse sans perspectives. Il poursuit : « Cette réalité va faire chuter tous les régimes que l’on dit forts et qui sont en réalité extrêmement fragiles, car en face, il n’y a rien : pas d’emplois, pas de perspective, et un discours politique mobilisateur qui ne trouve écho qu’en prônant l’anti-Occident au Sahel. »

Pour Nubukpo, l’Afrique doit redéfinir son avenir, notamment en matière de développement économique. Il critique la politique néolibérale imposée au continent, qui échoue à créer des emplois durables pour la jeunesse. Il plaide pour un “protectionnisme écologique”, visant à favoriser un développement local et durable, capable de retenir la jeunesse sur le continent plutôt que de l’inciter à fuir.